Système de facturation électronique : les entreprises sont-elles prêtes ?
L’entrée en vigueur dans les toutes prochaines années de l’obligation de la facturation électronique est un défi à la fois technologique, humain et financier pour les entreprises marocaines. Si la mesure n’impactera pas de la même manière une grande entreprise et une PME, elles y gagneront toutes en transparence, modernisation, fluidité et simplification de leurs relations transactionnelles.
On ose à peine imaginer un monde sans facture-papier, tant il y en a encore et beaucoup. Et pourtant, dans très peu d’années – et plus tôt qu’on ne pourrait le penser – une facture éditée sur Word ou Excel risque de devenir une relique d’un monde qui paraîtrait alors très lointain. Un monde dans lequel on vit pourtant aujourd’hui mais qui risque de commencer à disparaître dès 2026, dans moins de deux ans seulement. Cette année-là, la Direction Générale des Impôts (DGI) rendra opérationnel un système de facturation électronique qui va amorcer une vaste transformation des pratiques fiscales et commerciales au Maroc.
À terme donc, toute facture qui n’aurait pas été émise à partir de la plateforme électronique de la DGI ou du système d’information interne de l’entreprise – authentifié, bien sûr, par l’administration fiscale – sera tout simplement rejetée. Face à cette contrainte de taille, et si la mesure devait s’appliquer dès aujourd’hui, toutes les entreprises ne seraient pas logées à la même enseigne : les grandes entreprises, pourvues financièrement et techniquement, n’auraient aucune difficulté à intégrer la nouvelle disposition dans leurs process internes, la plupart d’entre elles disposant déjà de systèmes d’information voire d’ERP qui gèrent leur chaîne de valeur de bout en bout. Pour les PME, et surtout les TPE, c’est une transformation lourde et coûteuse qui doit être pensée, budgétisée et implémentée dans les process internes. C’est avant tout une adaptation qui doit être acceptée.
Une importante phase de transition
Rappelons-nous : les premières réactions suite à l’intégration de la facturation électronique dans le Code général des impôts par l’entremise de la Loi de Finances 2018. Dans les semaines qui ont suivi, et dès le début de l’année 2019, des manifestations et des sit-in ont été constatés ici et là, à l’initiative de commerçants et grossistes, pour protester contre ce qu’ils estiment une mesure contraignante pour la pérennité de leurs commerces. Des interprétations intempestives pour le Gouvernement d’alors qu’il s’est empressé de dissiper en soulignant que la facturation électronique, bien qu’inscrite dans l’agenda des grands projets de l’administration fiscale, est un projet embryonnaire pour lequel aucun décret n’a été publié… à ce jour d’ailleurs.
Remis sur la table en mai dernier, le projet phare de la DGI, qui figure en haut de ses ambitions stratégiques à court terme, devrait susciter moins de remous que par le passé. Et pour cause : comme pour la télédéclaration – les entreprises marocaines ont mis, dans leur ensemble, une décennie à adopter le dispositif –, ou plus récemment les délais de paiement – toujours en cours de déploiement (2024-2026) –, l’administration fiscale va privilégier une transition en douceur, ciblant d’abord les grands comptes, avant d’ouvrir le dispositif aux autres acteurs économiques concernés en fonction de leur taille et chiffre d’affaires. D’autant que même à son lancement, l’e-facture sera optionnelle. Autant de précautions qui rassurent certes, mais qui ne devraient pas empêcher les opérateurs économiques, au premier titres les commerçants, PME ou TPE, d’envisager dès à présent leur adaptation au dispositif.
Un tremplin vers la modernisation
Il faut le dire : si le projet, porteur d’une promesse de modernisation, est séduisant sur le papier, il n’est pas sans présenter un certain nombre de défis que les entreprises, notamment les PME, devront très rapidement relever. Et pour bien saisir les enjeux pour les entreprises, notamment les plus modestes d’entre elles, il est important ici de rappeler d’abord qu’une facture électronique n’est ni une facture dématérialisée, ni une facture-papier scannée. C’est une facture conçue, émise, déposée, reçue et archivée de manière électronique. Son édition nécessite donc le recours à un système d’information. Et pas n’importe quel SI : l’outil ou le logiciel adopté par l’entreprise pour sa facturation électronique devra être « authentifié » par l’administration fiscale, c’est-à-dire paramétré de manière à garantir l’authenticité et la lisibilité de la facture, selon les normes techniques et réglementaires admises par la DGI.
Chiffrement des données, authentification, sécurité des données échangées, pour bon nombre d’opérateurs… Les entreprises marocaines vont devoir ainsi, dans les toutes prochaines années, se doter d’un ERP ou reconfigurer leur système d’information interne déjà existant de manière à ce qu’il soit conforme avec les exigences de l’administration fiscale, sans quoi ils ne pourront être en mesure d’éditer des factures conformes aux normes techniques et réglementaires exigées par la DGI.
Si l’enjeu technique est certainement un des plus grands défis de l’application de la facturation électronique, pour certaines entreprises, le challenge est aussi bien technique et technologique qu’humain, parce que gérer l’interfaçage de son nouveau système d’information intégré avec la plateforme de l’administration fiscale exige des compétences spécifiques, bien plus importantes et qualitatives que le simple fait de générer des factures-papier. À moins de faire le choix d’externaliser cette fonction auprès d’un prestataire externe, habilité à le faire, ce qui n’est pas sans représenter un certain coût financier à supporter. C’est ce qui, une fois encore, justifie en grande partie l’approche de mise en place progressive privilégiée pour ancrer l’e-facture dans les pratiques commerciales et fiscales.
Quoi qu’il en soit, les entreprises marocaines, grandes comme petites, ont encore beaucoup de temps devant elles pour s’adapter aux changements à venir. De son côté, l’administration ne manquera pas de lever le voile sur toutes ces questions que se posent déjà les entreprises. Puis, c’est dans la pratique que la mesure s’ancrera progressivement dans les mœurs. Ses avantages étant largement supérieurs à ses contraintes, la facturation électronique, de contrainte technique, sera très probablement une formidable opportunité de modernisation du tissu économique national, via la transformation digitale, de ses pratiques commerciales et fiscales.