Loi sur les délais de paiements : Tout ce qu’il faut savoir sur les principaux apports
Conçu pour soutenir les PME et les TPE contre les pratiques abusives, le nouveau texte de loi sur les délais de paiements apporte de nombreuses réponses aux préoccupations de cette frange dominante du tissu économique national. Il apporte également un cadre légal plus contraignant que par le passé et des éclaircissements bienvenus pour restaurer la confiance et améliorer le climat des affaires. Le point.
« Bouffée d’oxygène », « lueur d’espoir », « grande nouvelle » … Rarement, une Loi n’a suscité autant d’enthousiasme au sein du tissu économique national, de l’annonce du projet de loi jusqu’à sa promulgation. Cinq chiffres qui auront fait le bonheur des entreprises marocaines, du moins des PME et des TPE, en ce début d’été 2023. Ces chiffres sont ceux du Dahir, n°1.23.40 donc, portant application de la Loi 69.21 modifiant la Loi 15-95 formant Code du Commerce, publiée le 15 juin dernier dans le bulletin officiel. Un dahir qui vient encadrer, et sanctionner aussi, les délais de paiements abusifs pratiqués par nombre d’opérateurs économiques, publics comme privés, depuis plus d’une décennie.
C’est que la loi 69-21 apporte de la rigueur et de la précision. Chaque nouvelle disposition y a été pensée de manière à renforcer le contrôle des délais de paiements, esquissant au final un cadre légal applicable à toute transaction commerciale. Chaque disposition y est également explicitée, motivée et justifiée, ne laissant aucune marge à l’interprétation, ce qui contraste assez clairement avec les dispositions contenues dans l’ancien texte (Loi 32-10 complétant la Loi 15-95 formant code de commerce et autres arrêtés).
On retiendra finalement de la promulgation de la Loi 69.21 sur les délais de paiements son caractère à la fois coercitif et flexible. Elle contraint ainsi les entreprises à mettre à jour le paiement de leurs factures dues à leurs prestataires, mais leur accorde en même temps un délai maximal à ne pas dépasser quand les deux parties d’une transaction conviennent d’un délai entre elles, plus long que ce qui était prévu dans l’ancien texte (120 jours au lieu 90 jours). On retiendra également l’obligation pour toutes les entreprises concernées de déclarer à la Direction générale des impôts leurs factures en retard de paiement, si elles ne veulent pas s’exposer à l’ensemble des amendes prévues en cas de non-respect de la Loi. Mais, ce qu’on devrait également retenir, c’est que le caractère dissuasif de la nouvelle Loi devrait avoir un effet positif sur les transactions commerciales inter-entreprises, et favoriser ainsi l’investissement et la création d’emplois.
Parcours du combattant
Il y a une petite dizaine d’années, quand la loi 32-10 a instauré l’obligation du respect des délais de paiements entre commerçants lors de leur transaction, d’aucuns pensaient que le problème des factures impayées, qui pesaient de tout leur poids sur la trésorerie des petites et moyennes entreprises marocaines, allait s’alléger, pour ne pas dire être résolu. C’est que cette loi mettait fin à plusieurs décennies où les entreprises pouvaient fixer librement et sans contrôle aucun, les délais de paiements et les pénalités de retard. Autrement dit, chaque entreprise pouvait définir ses propres délais de paiement dans les conditions générales d’achat et de vente qu’elle applique à ses clients et fournisseurs. Autant dire qu’en vertu de cette liberté qui leur était accordée, les grandes entreprises pouvaient aisément imposer leur volonté à leurs prestataires, plus petits, et donc pas assez imposants pour réclamer leur dû à leurs clients en cas d’absence ou de retard de paiement.
À bien des égards, et bien qu’elle ait énoncé sur le papier des pénalités en cas de retard de paiement, la loi 32.10 n’a pas réellement résolu le problème : dans la réalité, il incombait toujours au prestataire de réclamer une indemnisation à son client. Or, souvent, le prestataire ne s’y résout pas, de peur de fragiliser une relation-clientèle qu’il s’échine à entretenir, ou d’incommoder un client qui finira peut-être par lui payer son dû, mais qui le remplacera par un autre fournisseur, moins regardant sur les délais de paiements.
Choix cornélien
Ce choix cornélien a donc perduré malgré la loi 32-10. Prendre son mal en patience ou perdre un marché ? Mais en prenant leur mal en patience, nombre d’entreprises risquaient la banqueroute. Souvent, pour réaliser les prestations sujettes à des retards de paiements, elles sont obligées d’avancer des investissements et des frais, en plus des salaires à payer. Prises à la gorge, les plus téméraires engagent une procédure de recouvrement, quand les autres, plus nombreuses, se résignent à attendre que leur client accepte de les payer. Une situation parfois très difficile à supporter où recouvrer son argent devient un calvaire, régler son dû, un geste commercial presque.
Jusqu’à la publication, le 15 juin dernier, de la nouvelle loi 69.21 dans le Bulletin officiel, on estimait le montant des crédits entre entreprises au Maroc à 420 milliards de dirhams. Autant de dirhams qui font défaut à bon nombre d’entreprises. On imagine assez aisément que si les PME et TPE disposaient de la part qui leur revient de droit dans cette somme mirobolante, elles pourraient prospecter et gagner de nouveaux marchés, investir, et donc employer… Bref, contribuer à la croissance économique du Maroc. Rappelons que les PME et les TME constituent à elles seules plus de 90% du tissu économique national.
Un cadre légal clair et strict
C’est précisément à cette fin que la Loi 69.21 a été pensée, conçue et est entrée en vigueur depuis le 1er juillet dernier : soutenir les PME et les TPE marocaines, en légiférant sur un nouveau cadre légal applicable à toute transaction commerciale, en remédiant aux flous juridiques de l’ancien texte et en imposant de nouvelles mesures strictes en faveur du respect des délais de paiements.
Les clarifications de la nouvelle loi apparaissent à différents endroits du texte. Dès son préambule, la Loi 69-21 détermine ainsi à qui s’applique ses nouvelles dispositions. Il s’agit des personnes physiques et morales dont le chiffre d’affaires (hors taxes) annuel est supérieur à 2 millions de dirhams ainsi que les entreprises publiques à caractère marchand. Cette définition a le mérite de focaliser le champ d’application sur l’enjeu commercial. Ce qui tranche clairement avec les dispositions de l’ancien texte où il était question, outre les commerçants naturellement, « des personnes de droit privé délégataires de la gestion d’un service public » et des « personnes morales de droit public lors des transactions commerciales ». Désormais, dès lors qu’un acte commercial a lieu, la nouvelle Loi sur les délais de paiement s’applique, même quand il s’agit d’entreprises publiques. La loi 69.21 clarifie également la date de calcul des délais de paiement, qui court désormais à partir de la date d’émission de la facture. Cette dernière est nettement plus facile à déterminer que la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation qui prévalait auparavant et dont la définition posait parfois problème en raison de la pluralité des relations qui peuvent lier un client et son fournisseur.
Une nouvelle ère qui commence
Par ailleurs, pour s’assurer que les mises en place seront respectées, le législateur a pensé à imposer aux opérateurs concernés une obligation de déclaration, en l’occurrence trimestrielle et électronique – pour faire état de ses délais de paiements. Jusqu’ici, seules les entreprises publiques étaient assujetties à pareilles mesures, depuis notamment l’entrée en fonction, en 2017, de l’Observatoire des délais de paiement. Désormais, ce sont tous les opérateurs concernés par la Loi, publics et privés, qui doivent déclarer leurs délais de paiements… et s’acquitter d’amendes en cas de non-respect de la Loi. Des sanctions qui couvrent tous les cas de figure (retard de paiement, non déclaration, etc.) et qui sont proportionnelles à la taille de l’entreprise en termes de chiffres d’affaires. Cette recherche d’équilibre dans l’application de la Loi 69.21 transparaît également dans son application, puisque ne sont concernés pour l’heure, et depuis le 1er juillet dernier, que les opérateurs dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions de dirhams, soit les grands opérateurs et entreprises. Les autres, dont le chiffre d’affaires est moindre, ne devront se conformer à la loi qu’en janvier 2024 (pour ceux dont le chiffre d’affaires est compris entre 10 et 50 millions de dirhams) et janvier 2025 (chiffre d’affaires entre 2 et 10 millions de dirhams).
Contraignantes en apparence, l’obligation de déclaration et l’amende en cas de non-respect de la loi sont censées être des mesures dissuasives. Ainsi, si toutes les entreprises, ou du moins la majorité des entreprises, mettaient à jour leur système de paiements des factures, cela pourrait améliorer, nettement, le niveau de confiance entre entreprises, fluidifier davantage les transactions commerciales et par conséquent améliorer le climat des affaires. Un enjeu crucial pour les PME et TPE en termes de viabilité financière mais également pour l’économie nationale en termes d’intégration industrielle, de créations d’emploi et plus globalement, d’investissements.